A l'ombre des Bronswicks en fleurs...
L'Equerre n° 3 Avril 1986


Pour son troisième album, Complot Bronswick tire la bobinette de la photographie et la schizophrénie choie...
Un porte parole du groupe nous à révélé, morceau par morceau, les dessous obscurs des plaisirs de la chambre noire, titre allusif et pervers. Synthèse et interpretation par Thierry Boblet et l'Equerre. Photo d'après Man Ray par Bernard Silag.

C'est dans un studio de Bruxelles que le groupe a frappé et ses membres, damnés, obcènes, cyniques et corrompus ne vous révéleront pas leurs identité. Question de principe. La silhouette androgyne par laquelle on aborde l'album repose voluptueusement dans le cadre de son ambivalence, voyez la pochette : ce corps lascif apparaît à l'envers, telle une image sur une plaque photographique, pour nous faire franchir la frontière des plaisirs.

Ces Plaisir de la Chambre Noire mêlent dans leur jeu de mots succession de clichés et snesualité arrogante; lieu clos et sadien comme le fut peut-être La Mèche bleue, cette boîte de St-Brieuc aujourd'hui fermée, au sein de laquelle le groupe s'était réfugié afin de concrétiser ses idées, concevoir la pochette, quelques textes et le titre de l'album; décidés aussi à s'ouvrir à leurs invités : Pascal Humbert, ex-Tanit et bassiste de Passion Fodder et Gilles Martin, producteur belge et deux ex-machina de Minimal Compact, Tuxedomoon, Front 242...

Des inspirations dissolues, le disque devient "révélateur" de clichés successifs comme le premier titre Ivory Blade (que l'on doit au chanteur) et qui s'inspire de tous les thèmes du roman noir alors que son équivalent, sur l'autre plage, Yellow Face, reprend ceux de la rock star, fantasme du personnage solitaire qui se projette sur la scène du monde. Mais alors que la Mort est l'anéantissement du "privé" sous l'emprise de la musique assassine qui guide ses pas vers les bas-fonds du néant puis le meurtre résurrectionnel, la Star, elle, ressuscite face aux projecteurs et réalise enfin sa propre scène, se libérant des normes de la société. Ce sont ces normes qui ont inspiré la vidéo à venir de Born In a Cage. "Né dans une cage, il préfère ses ennemis", le personnage évolue dans une bulle et voudrait en sortir, échapper à l'angoisse, à la jalousie. La succession d'images illustre son impuissance mais le ton détaché, ironiquement grandiloquent, et la voix déconnectant le trop sérieux et le trop évident du propos rappellent que sans normes il ne peut y avoir de marginalité. L'ambiance de ce morceau superbe, valse sinistre, est, ici, fellinnienne.

Mais le thème de l'incommunicabilité est également développé dans deux autres titres Mask of Nudity et Friendship. Le premier se prête à une écoute subjective, le second appuyé par la basse, naturalise à la rennaise l'influence New Order. Les paroles ont été écrites après la musique et reprennent l'idée qu'il y a toujours quelque chose au delà de l'apparent. La voix plus chaude, le phrasé plus coulant adoucissent un rythme carré qui, s'il n'était contenu, pourrait devenir facilement hynotique. Landscape évoque, par une mélodie orientale, un paysage celtique, tour de passe-passe qui fait se retrouver dans un bourdon opiniâtre trois ou quatre notes qui reviennent toujours. Effet lancinant des paroles qui sont, ici, presqu'improvisées, mots magiques, mots évocateurs : terror of frame, burning thé terror, beauty worid... mélopée humide, pleine d'embruns. Paysages bientôt insurrectionnels : Le Temps des Cerises, allusion à cette période de la Commune (1870) où les insurgés pouvaient croire avoir gagné et vivaient dans un rêve. Encore une fois, un cliché révélateur d'une folie qui imprime à ce titre son coté pathétique, perdu et disloqué : la projection d'un instant dans l'Eternité. Il n'y a plus qu'un "fractile" figé et détruit par la photo.

Ce thème, ultime appel à la nostalgie sereine, s'enrichit dans Collapse : "le temps est cruel et les gens se mettent à pleurer" avec citation d'une (célèbre) phrase de New Order I want to close your big blue eyes...

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