On est allé en enfer et on y est revenu
Killing Joke - Jaz moderne
Best
n°202 (mai 1985)



Il existe deux façons de prendre Killing Joke Au sérieux tout d'abord, a la lettre, au premier degré et la, immanquablement, leur discours et leur attitude font tellement froid dans le dos qu'il ne reste plus qu'a prendre ses jambes a son cou. Ou alors juste pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire un excellent groupe de scène bourré d'énergie qui a pondu ça et la quelques hymnes dévastateurs bien torchés, comme "WarDance", "Follow The Leader", "Eighties" ou dans un autre registre le seul et récent hit "Love Like Blood". Mais juste pour cela si l'on veut rester sain d'esprit J'avoue toutefois que lorsque l'on est amené a rencontrer Jaz Coleman le chanteur porte-parole/chef guerrier du groupe, il est plus difficile de s'en tenir a cette dernière approche : quand Jaz s'égare dans ses visions d'apocalypse, il n'est pas toujours évident de le ramener a la musique.

Quoi de neuf depuis la dernière fois (où ils m'avaient lâchement attaqué a l'aquavit-bière) ?
Jaz Coleman: (buvant tranquillement son café au bar d'un hôtel quelconque parisien, sa girl-friend BCBG (si, si) non loin de la. On est allé en enfer et on en est revenu (ça commence bien). En 1984 on a fait très peu de gigs, on a juste lors d'un festival au Danemark et on a fait deux concerts a New-York. 84 a été une année très dure pour moi, la plus folle de mon existence je pense, j'ai été tellement loin dans des trucs intenses que j'ai même vu la mort comme unique voie de sortie. Tu sais, dans Killing Joke nous devons toujours aller très loin dans nos folies et dans les extrêmes, c'est ça qui fait notre force mais en même temps nous sommes en état de conflit permanent. A force de vivre les uns a côté des autres, de voyager, de boire et de se battre ensemble, on est arrivé a un niveau de création très puissant. Nous sommes allés a Berlin pour enregistrer le dernier album car l'atmosphère y est très propice pour nous, tu parles, la folie coupée en deux par un mur ah ! ah! ah! (rire maléfique, malaise dans la salle). En plus, c'est un endroit très européen et notre musique est très européenne. Alors "Night Time" reflète très bien tout ce que l'on a vécu en 84, tu n'as qu'a lire les textes, en plus il y a dans ce disque une pure beauté musicale qu'il n'y avait pas avant dans notre musique.

(Ravi de pouvoir en placer une). Je ne sais pas si c'est a cause de cette beauté musicale dont tu parles, mais avec cet album vous êtes en train de changer de public, de perdre vos vieux fans au profit de petits jeunes qui ne vous connaissaient pas auparavant.
On s'en fout de toutes ces conneries, on n'a jamais fonctionné grâce a des modes, on n'a jamais été punk, KJ n'a toujours été rien d'autre que KJ et on n'a jamais voulu avoir de vieux fans gâteux. Moi, ce que je vois c'est que cela tait maintenant quatre semaines que "Love Like Blood" est dans le Top 20 et j'en suis très heureux. Cela veut dire que désormais on peut descendre 3 bouteilles de scotch par jour au lieu de 2 et que l'on peut dormir dans des 4 étoiles au lieu de 3 (ce qui n'est pas vrai pour Paris). Cela veut dire aussi que l'on joue dans de plus grandes salles de concert et qu'il y a plus de monde pour nous applaudie c'est tout ce qui a changé.

A quand KJ au Top of The Pops ?
(A ce sujet, un spécial KJ a été refusé pour les Enfants du Rock, ils font encore trop punk et peur, paraît-il; d'y voir Goldman ou Lara ne m'étonne donc plus, il serait temps de s'entendre sur le mot Rock !)
On a déjà fait le TTP, ce fut l'un des moments les plus drôles de ma vie. (rire démoniaque, les lustres tremblent, les attachées de presse tachent de calmer le personnel qui panique). C'est à pleurer de rire que de voir ces 30 gamins courir d'une scène a l'autre pour bouger leur cul en prétendant aimer tous les groupes qui passent.

C'est la 1ère fois que l'on voit vos visages sur une pochette de disques, c'est vous qui l'avez choisie?
C'est la maison de disques qui a voulu ça, moi je m'y opposais jusqu'au moment où j'ai vu la photo en question, je l'aime bien, j'ai une drôle de tête dessus.

Puis Jaz, estimant certainement avoir assez parlé de son groupe se mit a m'entretenir du livre qu'il est en train de terminer (Jaz a toujours en route un bouquin, ou un opéra ou une quelconque oeuvre grandiose). Au cas ou ça en intéresserait deux ou trois, je vous livre en vrac quelques infos sur le sujet sur lequel il est intarissable.
Ce bouquin parle de KJ et de mes recherches en général. Le plus gros du sujet est la phase de transition dans laquelle nous pénétrons et que la plupart des gens refuse (...) C'est une perte de temps que d'essayer de faire des réformes sociales, la grande mutation vers l'avenir, le renouveau est a une bien plus grande échelle, il faut un changement psychologique de masse et non des petites révolutions économiques ou sociales, cela ne peut arriver que grâce a un événement énorme, une gigantesque destruction, un cauchemar terrible...
Affligeant, n'est-ce-pas? Paradoxalement, j'avais du mal a garder mon sérieux a certains moments. J'ai même été obligé de prétexter un rancard pour pouvoir prendre congé et ne pas être top dégoûté avant le concert.

Cela aurait été dommage car Killing Joke fait toujours un sacré effet sur scène, enfin quand je dis KJ, je devrais plutôt dire Jaz, car les 3 autres, bien qu'assurant un mur de son impressionnant, sont physiquement inexistants.
Alors quel changement par rapport a l'année dernière? Tous les nouveaux morceaux bien sûr qui, mis a part "Love Like Blood" et "Eighties", ne sont pas renversants en version live. Pas mal de punks en moins dans la salle aussi, et quelques gravures de mode en plus.
Terminons par une anecdote : entre la prestation "décoiffante" de Jad Wio et l'arrivée de KJ sur scène, alors que je traînais comme il se doit au bar, je suis tombé sur Jaz qui semblait tater la température ambiante de son public. Eh bien dans tous ces gens qui étaient venus pour le voir faire le démon sur les planches, pas un seul ne l'a reconnu. Il en avait l'air tout surpris lui-même d'ailleurs !

G. D.



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