VIRGIN PRUNES
Premonition
n°15 decembre 1993

Sur scène, un guéridon avec une nappe en dentelle. Soudain, un homme, coiffé d'une énorme tête de carton-pâte carnavalesque, arrive en trottinant. Il tient dans ses mains un gâteau d'anniversaire. Des cris de fous résonnent, mêlés à des hurlements et à des bruits horribles, pendant qu'une voix d'enfant récite inlassablement une phrase sans queue ni tête. Plus tard, deux hommes habillés en femmes miment l'amour après s'être maculés de boue sanglante. Et, pendant tout ce temps, guitare, basse, chant et batterie continuent a raconter leurs histoires horribles et surréalistes, sur fond de musique minimale et dépouillée.

Voilà ce qu'étaient les concerts de Virgin Prunes, des messes noires où la raison n'avait pas sa place, où tout humour était absent, excepté le rire nerveux que l'on adopte face à l'incompréhension. Le groupe de Gavin Friday dérangeait et, malgré leurs deux seuls vrais albums, "If I die I die" en 1982 et "The moon looked down and laughed" en 1986, leur following était énorme, et le culte qu'ils ont engendré à marqué bon nombre de musiciens actuels, même si beaucoup s'en défendent , de peur de se faire étiquetter. Mais si le groupe a surtout une place de choix dans le rayon "musiques expérimentales" ou "musique pré-industrielle", cela est dû à leur premier concept, le manifeste "A new form of beauty" paru en 1980 en plusieurs tomes, singles et maxis. Vint ensuite "Heresie", 25 cm
moitié live moitié studio commandé en 1982 par le label français Invitation au Suicide, et dont la citation reproduite de J.K. Huysmans mettait un point final aux arguments de leurs détracteurs. En 1983, "Over the rainbow", compilation d'inédits inaudibles, innovants, inoubliables, achevait la véritable carrière des Virgin Prunes, malgré ce "Moon looked down" de 86 plutôt réussi. "The hidden lie", enregistré Iive en 86 à Paris (dernier concert du groupe), raté et mortel... d'ennui, terminera en queue de poisson l'épopée folle de ces Irlandais ayant compté dans leurs rangs le frère de The Edge (U2) lui-même.

New Rose a eu l'excellente idée de rééditer tous ces albums en CD, enrichis de tous les inédits que s'arrachaient les collectionneurs. Signalons que "A new form of beauty" a perdu sa "part 4", que la nouvelle version de "Hérésie" replace les choses correctement et nous rend la partie Iive oubliée dans le CD originel, que "Over the rainbow" change de nom pour "Artfuck" et s'enrichit de rien moins que sept inédits mais perd le mémorable Down the memory lane, que "The hidden lie" reste toujours dispensable et que toutes les pochettes ont subi un lifting plutôt agréable. Aujourd'hui, Gavin Friday a troqué la robe noire contre le costume blanc et chante I want to Iive, I want to love. La messe noire est bien finie, voici le temps des exorcistes.

Frederic Thébeault

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