Rock and Folk n°198 (juillet 1983)

Virgin Prunes HERESIE
Invitation au Suicide 0500

Voici le cas typique d'une production indépendante, donc marginale, réalisée dans la passion avec un soin parfait. Deux éditions, littéralement arrachées, ce qui tendrait à prouver que les merveilles se défendent très bien toutes seules, merci pour elles, et que le public a bon goût, merci pour lui. Au moment où les Virgin Prunes semblaient faire quelques concessions pour se rendre plus accessiblés, avec l'album "If I Die I Die", "Hérésie" insiste sur des choix antérieurs, fondamentaux : expérimentation libre, production minimale, performance-célébration, jeux de l'inconscient, cruauté et dérision. Une radicalité concentrée sur le pouvoir émotionnel des images sonores, écartant les productions confîtes en séduction commerciale. Dans le mouvement d'une créativité qui évite de répéter les mêmes effets, les qualités de "Hérésie" n'enlèvent rien au charme de "If I Die I Die". Avec ces deux albums 25 cm. Invitation au Suicide a seulement joué le raffinement, l'objet de collection, choisi les inédits et les documents live.

L'habillage en lui-même est une source de plaisir: glacé, noir, frappé de titres et ïïlets rouges, en coffret rigide annonciateur de voluptés cachées que l'on va aussitôt débusquer au premier tour de sillon. Cette fois l'accent n'est pas mis sur le côté barbare, théâtral et coloré des Virgin Prunes, mais sur les fantasmes d'origine gothique, le monde crépusculaire des dévotions ambiguës, les rituels fumeux de la tradition catholique. Tout comme les concerts, le premier disque s'ouvre sur une incantation schizophrénique de Dave-Id, le jeune demeuré inspiré, suivie d'un mélange compact de grondements industriels et de trépidations tribales. Les voix gonflées d'écho se superposent dans la transe, on reconnaît des thèmes hypnothiques à l'état embryonnaire, un son de guitare détaché sur des climats cryptiques, la prière infiniment répétée des exorcistes... La face se termine sur quelques notes de Syringe aériennes, appel d'espace et suggestion des forces naturelles environnantes.

La seconde face présente une suite de ballades irlandaises interprétées par des voix faussement naïves, tordues de perversité, avec des accompagnements de flûte et accordéon très folk celtique sur "Memory Lane", de basse et piano sur "Man On The Corner". "Nisam Lo" ouvre les portes de la perception, un monde ralenti de résonances vaporeuses, le transit des âmes peut-être, dans un espace intermédiaire. "Loved One" s'étire en crépuscule industriel, notes de guitare répétitives, sombre mélopée, flagellements rythmiques et vociférations. La belle, la bête et le schizo mènent ensemble un étrange sabbat. Quelques notes flûtées séparent chaque morceau et se suspendent légèrement en conclusion provisoire. Le second disque est l'enregistrement d'un mémorable concert des Virgin Prunes au Rex l'an passé. Une interprétation très rude de "Caucasian Walk" pour commencer la séance, des versions rocailleuses de "Pagan Love Song" et "Wall Of Jéricho" qui se sont considérablement affinées depuis, une théâtralité vocale proche de l'hystérie, un continium de sonorités saturées, dans les roulements précis d'une rythmique implacable. "Hérésie" est le complément cru, brut, minimal de "If I Die I Die", dépourvu d'arrangements esthétiques et d'effets adoucissants. Une seule critique un peu sévère porterait sur le livret iconographique, les textes de référence accompagnant les deux disques : l'humour, le sens comique, l'ironie grimaçante des Prunes y font cruellement défaut au profit d'une collection d'obsessions gâteuses : philosophie de monoprix, érudition ampoulée, littérature kitsch, usage pompeux de subjonctifs mal orthographiés. Ces réserves mises à part, "Hérésie" est un cadeau délicieusement empiosonné.

Anaïs Prosaïc

< back