Virgin
Prunes - Réminiscence Premonition n°22 (janvier 1996) À l'aube des années 80, la vague punk avait nettoyé la plage, et les jeunes groupes n'avaient que l'embarras du choix quant à la musique qu'ils désiraient créer. Un des groupes "froids" de l'époque allait pousser les choses plus loin que les autres, et leur influence, bien que discrète, sera considérable. Dix ans après leur séparation, le groupe a conservé une image tragi-comique, dans laquelle se mélangent respect et frayeur, un traumatisme pour tous ceux qui ont subi les hurlements de déments de Gavin Friday. Après la réédition des albums en CD il y a une paire d'années, après les travaux solo de Gavin Friday, c'est au tour de Dave-ld Busaras de se rappeler à notre bon souvenir. L'occasion était trop belle de demander à Gavin Friday, en pleine tournée promotionnelle de son "Shag tobacco", de nous conter par le détail l'aventure des Virgin Prunes. ![]() Les Virgin Prunes se sont formes en 1978, nous étions très jeunes et nous ne savions pas très bien ce que signifiait réellement le "punk". Tout ce que nous savions, c'est qu'auparavant, pour former un groupe, il fallait être une espèce de Dieu de la musique, et le punk est arrivé et a dit : "Non, vous n'avez plus besoin de cela pour pouvoir vous exprimer . Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi tous ces albums sortis en 1978 /1979 étaient si "calculés", pourquoi tous ces groupes voulaient se copier les uns les autres. Le punk n'existait déjà plus depuis un an et demi ! Il était déjà devenu un putain de cliché. Je ne voulais pas sonner comme Public Image Limited, les Sex Pistols ou Joy Division. Je ne voulais ressembler qu'à moi-même ! Oui, mais -tu n'étais
pas seul, vous étiez un groupe, et donc vous confrontiez vos
idées... Oui, avec la section rythmique... Je n'ai jamais joué une seule chanson des Virgm Prunes après la séparation. La symbolique est importante... quand quelque chose est finie, c'est fini, point. Par contre, tu as toujours été très proche de Bono... Nous avons grandi ensemble. Dans la même rue. Peux-tu nous parler de cette histoire de secte religieuse dans laquelle U2 et les Virgin Prunes se sont retrouvés ? Cela s'est passé aux tous débuts du groupe, nous n'avions pas encore sorti le moindre disque. Nous avions juste dix-sept ans et plusieurs d'entre nous étaient devenus très religieux. Cela a failli briser U2. C'est une expérience qui a quand même duré six mois. Vous avez évolué ensemble musicalement, mais sur des voies très différentes. Comment analyses-tu vos carrières respectives ? Elles ne sont pas comparables. Je crois qu'ils ont toujours voulu être des rock-stars, dès le début. Ils voulaient suivre cette voie, alors que, de notre côté, nous n'envisagions même pas de vendre des disques. Mais je crois aussi que ces dernières années, U2 aurait bien aimé devenir les Virgin Prunes (rires) ! Mais ceci dit, notre amitié va beaucoup plus loin que la musique. Penses-tu que U2 et les Virgin Prunes soient deux groupes symboles des années 80, les plus éloignés mais peut être les plus représentatifs ? Non. Les Virgin Prunes n'existent plus depuis presque dix ans. Ils étaient davantage rattachés à la fin des années 70. Mais je pense qu'une grande partie de notre esprit a influencé d'autres groupes, et c'est encore valable aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, nous avions fait notre temps. U2 a survécu car il se réinvente en permanence. Souviens-toi du Bono brandissant un drapeau blanc, et du Bono "disco" de 1993. Tout a beaucoup changé, je crois surtout grâce aux nineties. Les années 80 étaient une putain de décennie de merde. Un cauchemar. J'étais tellement content quand 1990 est arrivé. J'ai eu du bon temps, c'est vrai, mais tout était vraiment pourri : l'argent, le gouvernement, ces modes de pensées, l'Europe des années 80, quelle merde. Crois-tu que les années 80 étaient si noires, que ce n'était pas plutôt ta propre personnalité, qui depuis a évolué, qui voyait tout en noir ? Non, je ne crois pas. Penses-tu que mon dernier album soit très joyeux ? Quand tu es jeune, c'est vrai, tu es plus destructeur, car tu es frustré, en colère. Je suis toujours en colère, mais de façon plus gaie ! Il faut que tu évolues, que tu te développes, sinon tu retombes dans ce fameux cliché. C'est cela qui ne va pas chez beaucoup de gens. Regarde les Rolling Stones... Qui, selon toi, a bien maintenu sa barque ? Oh, il y en a beaucoup ! Et il y a beaucoup de trous du cul aussi ! Qui j'aime, depuis les années 60 jusqu'aux années 90 ? Scott Walker, qui vieillit dignement. .. Nick Cave, oui, jaune beaucoup Nick Cave. Il devient vieux, il change. Birthday Party était un groupe sauvage, Nick Cave & the Bad Seeds n'ont plus rien à voir... Nick Cave a trente-sept, trente-huit ans, il est papa... mais c'est toujours un enculé (rires) ! Avant le premier album de Gavin Friday en solo, il y a eu un maxi avec Simon Carmody. Pourquoi n'as-tu pas continué avec lui, de quoi s'agissait-il ? Simon est un musicien de Dublin. Nous avons écrit quelques chansons une nuit, sous l'influence de l'alcool... nous étions complètements saouls quand nous avons fait ce disque de merde ! Je le déteste. C'était juste un disque de poivrots, rien de plus (rires). Ensuite, il y a eu ton premier album solo, "Each man kills the thing he loves" : est-ce que tu avais prémédité ton changement d'option musicale ? Il est sorti trois ans après la fin des Virgin Prunes. J'avais écouté beaucoup de jazz pendant cette période. C'était une période où tout était très confus. Je ne regrettais pas les Virgin Prunes, je n'avais aucun regret ; je respecte d'ailleurs toujours ce que j'ai fait avec eux, je l'adore, j'en suis fier... il n'y a rien de négatif avec ce groupe. Mais je ne savais pas où j'allais, j'étais perturbé. J'ai peint pendant plus d'un an et demi avec Guggi, et puis à force de m'entendre dire "Tu devrais exposer, tu devrais exposer", eh bien je l'ai fait. Et cela ma rapporté un peu d'argent, pour changer ! En fait, c'est à ce moment-là que j'ai réalisé que je voulais remonter sur scène, faire de la musique et écrire des paroles. Si tu peins, alors tu dois t'y consacrer exclusivement. C'est la même chose en musique. Tu écris, tu enregistres, tu donnes des concerts. Si tu fais plusieurs choses à la fois, tu risques d'en souffrir. Mais je peins toujours, juste pour moi, c'est ma façon de m évader, de me relaxer. Quel moyen d'expression est le plus parfait selon toi ? Ils sont tous différents. Je crois que la peinture est une expression qui te convient plus quand tu as cinquante ou soixante ans. Jouer sur scène et voyager autour du monde n'est pas envisageable quand tu es trop vieux. J'aime aussi faire du théâtre, les Virgin Prunes étaient de fabuleux acteurs de théâtre. Avec les Virgin Prunes, vos performances étaient très provocantes, choquantes. Oui, mais aujourd'hui le rock tout entier est devenu choquant. Cela, c'était il y a des années. Aujourd'hui les gens s'y sont habitués, plus rien ne choque. Les gens allument leur télé et voient les serbes évacuer des populations entières, ils voient la France faire exploser des bombes nucléaires dans le Pacifique, mais sont-ils choqués ? Non, ils s'en tapent ! Si la Reine d'Angleterre apparaissait à la télé et disait "Allez vous faire mettre, bande de branleurs", alors là oui, ça les choquerait ! En fait, tu me parles d'une époque où je me baladais dans Dublin avec ma robe et mon maquillage, mais maintenant tu peux voir plein de mecs se balader en robe et maquillés... Les temps ont changé, les choses se sont transformées... Pourquoi "Adam'n'Eve", ton deuxième album, ne mentionnait-il plus Gavin Friday "with the Man Seezer" en référence à Maurice ? Tout simplement parce que je suis le lead-singer et que je suis mégalomane (rires). En fait, je ne savais pas si j'allais encore enregistrer un autre album après "Each man kills the thing he loves". J'étais allé à New York, dans les clubs de jazz, de musique avant-gardiste, j'avais rencontré des gens qui travaillaient notamment avec Tom Waits. J'ai décidé que je serais l'interprète, et que Maurice Seezer serait le compositeur. J'ai imposé cela, mais en fait tout est devenu peu à peu ma propre vision. Maurice est un peu ma main droite, mais il n'est pas du tout intéressé par ce qui entoure la musique. Il est un peu comme un savant fou ; il est mon appui musical, je serais perdu sans lui. Mais ça ne l'intéresse pas du tout d'avoir les honneurs des médias. Il me laisse le sale boulot (rires) ! Et maintenant c'est la sortie de "Shag tobacco", dans lequel on sent de nouvelles influences. Oui, il a été produit par Tim Simenon, de Bomb The Bass. J'accorde beaucoup d'importance au rythme. Depuis une dizaine d'années, le rythme est très important, mais les groupes pop anglais à guitares, cette espèce de "great british pop bullshit", l'ont généralisé. Des groupes de merde, je les déteste. Tricky est vraiment intéressant, Massive Attack aussi, ce n'est pas juste une musique avec un rythme en fond. Eux sont très européens, j'aime ce concept de musique européenne. La musique qui m'a influencé après les Virgin Prunes était une musique européenne. J'étais très fan de Jacques Brel, Gainsbourg, de la chanson en général. Et puis j'ai découvert le jazz et la musique de films. J'ai voulu faire sonner ce disque comme un mélange de toutes les musiques du 20ème siècle que j'aime. J'utilise autant de guitares acoustiques que de samples, d'électronique, de guitares électriques, de rythmes différents. Nous vivons dans a une époque de technologie, et j'aime ces mélanges fous, c'est ce que je veux, que plusieurs cultures interfèrent. Mais attention, je ne parle pas de worid music, pour moi cela ne veut rien dire, ce sont juste des musiciens qui sont complexés par les civilisations occidentales, leur musique n'est pas intéressante. J'ai toujours beaucoup aimé l'Algérie par exemple, mais vous êtes coupables de ce qu'elle devient car vous avez violé ce pays pendant tellement longtemps. Aujourd'hui, ils se contentent de mettre un stupide rythme techno sur du raï, et l'on appelle cela de la world music ! Tu as travaillé avec The Fall et Coil, Bono a travaillé avec toi, n'es-tu pas tenté de faire des albums avec d'autres musiciens ? J'ai écrit beaucoup de chansons pour Bono, qui n'ont jamais été enregistrées. Peut-être les sortirons-nous ensemble quand nous serons gros et que nous aurons cinquante ans. Je prévois également de travailler avec Maria Mc Kee (ex-chanteuse de Lone Justice -ndlr), je lui ai écrit quelques chansons. Avec Sinead O'Connor également, je vais sans doute retravailler un peu avec elle... Mais un projet entier avec quelqu'un, je ne sais pas. J'ai fait quelques bricoles aussi avec Jah Wobble récemment. J'aimerais faire un album en duo, avec une femme, quelque chose dans le genre de Frank et Nancy Sinatra, Gainsbourg et Birkin. Mais il faut encore que je trouve la femme idéale, je ne sais pas qui elle est, peut-ste être Lydia Lunch, je l'aime beaucoup.Crazy bitch (il se marre) ! J'ai d'ailleurs travaillé avec Clint Ruin (mari de Lydia Lunch et leader de Ftus -ndlr), sur "The moon looked down and laughed", c'est un bon ami. Nous avons également bossé ensemble sur mon projet avec Coil, il était le producteur. Pourrais-tu retravailler avec d'anciens Virgin Prunes ? Je travaille avec Guggi, mais nous faisons de la peinture, pas de la musique. Peut-être me contredirai-je un jour, peut-être... Pourquoi pas retravailler avec Guggi et Dik, oui, mais pas avec les deux autres. Je ne pourrai jamais oublier ce qu'ils ont fait... (puis il éclate de rire). Frédéric Thébault Christophe Labussière < back |